« Mais nan je suis pas féministe ! Ha ben si en fait … »

Mes potes m’appelaient souvent « LaFéministe ».
Parce que je gueulais souvent contre les mecs (cis) qui faisaient pas la vaisselle, que je disais souvent que les nanas devaient pas se laisser faire, que les mecs se comportaient souvent comme des connards, que je grognais contre tout ce qui ne tournait pas rond dans ce monde contre les nanas.

Mes potes ça les faisait marrer, illes me trouvaient rigolote à ronchonner comme ça. En vrai, féministe je savais même pas ce que ça voulait dire. Je savais qu’il y avait un sombre rapport avec Simone de Beauvoir et le Planning Familial mais à part ça, ça ne me disait pas grand chose. Je trouvais que c’était une sorte de noble cause et je me posais quelques questions mais je ne voulais pas être féministe.
Parce que « LesFéministes » c’était un groupe de filles que les autres (surtout les mecs en fait) trouvaient chiantes et pas drôles, souvent accompagnées de quelques types pas vraiment viriles. En fait c’était carrément un synonyme d’insulte, c’était être la relou de service qui trouve toujours une bonne raison de gueuler contre tout et tout le monde. Et moi je voulais être une pote cool, je voulais être « in » et donc surtout pas leur ressembler.

Et puis un jour on a monté un collectif anti-sexiste (pas féministe hein, fallait pas en faire trop à ce moment là) à cause d’une affiche sur le thème DSK pour une fête étudiante. C’était important d’être contre parce que c’était « grave », parce que « ça banalise le viol », c’est du « publisexisme ». Je n’aimais pas cette affiche mais au début je ne voyais pas vraiment pourquoi c’était grave.
Banaliser le viol ça veut dire montrer quelque chose de grave (le viol) de façon normale, anodine, joyeuse, plaisante. Le publisexisme ça veut dire montrer le corps des femmes (enfin un corps de femme retouché) pour vendre de la merde tout en faisant croire que c’est chouette (en fait on vend le corps de la nana, il devient un objet que le client achète). Mais tout ça je ne voyais pas vraiment pourquoi c’était grave, parce qu’une chose grave était une chose inhabituelle avec des conséquences et des réactions considérables, comme une agression raciste ou homophobe, une attaque de fafs etc …
Mais montrer une fille « bonne » en tenue sexy sur une pub, ça ne pouvait pas être grave parce que je le voyais tout les jours, partout dans la rue, dans les magazines, les journaux, ce n’était pas rare, c’était habituel et les réactions n’étaient jamais considérables.
Elles étaient absentes.

C’est là que j’ai compris un élément du patriarcat : faire croire que tout ce que je trouvais bizarre, choquant, moche, gênant, dégueulasse avec la pub, le viol, le harcèlement de rue, le consentement, les blagues sexistes, les soirées « entre couilles », le virilisme etc … c’était juste normal, évident et tellement répandu qu’il n’y avait pas de place pour une possible protestation ou alors il fallait protester contre tout ! Tout ce qu’on peut ressentir c’est de toute façon nier et ridiculiser.

Après ça j’ai lu quelques bouquins, j’ai regardé des films, j’ai consulté des blogs, j’ai fait des manifs, des réunions non-mixte …

Je suis devenue « LaFéministeChiante » qui ne rigole pas aux blagues sexistes ou sur le viol, devant qui les mots « pute » « salope » « enculé » ne sont pas des insultes, qui discute d’avortement, de règles, de contraception, qui est lynchée parce qu’elle participe à des réunions non-mixte, qui insiste pour féminiser les tracts …

J’ai perdu quelques potes et vécus quelques moments difficiles mais tant pis, être chiante et parfois trouver le courage d’ouvrir sa gueule m’a finalement plus apporté.

Alors anarcha-féministe tant qu’il le faudra !